Accueil du site Economie Sociale et Solidaire
 

L’ange et le dessin du champignon

(JPG) par François Plassard
Article publié le vendredi 5 mai 2006.


C’est bien connu pour bien voir il ne faut pas oublier de changer de lunette. Ce texte sous forme de conte met en scène le compte rendu d’un ange après un séjour sur notre planète...

Hommage à la réalisation du film Porto Allegre-Davos

L’ange se reposa un moment sur un rayon de lune. Réfléchir à la manière de présenter aux autres anges tout ce qu’il avait vu en si peu de temps de ce côté de l’Univers méritait bien une petite halte ! Ce n ’est un secret pour personne : les anges sont des experts en conscience. Mais moins de gens savent qu’il existe un Observatoire de l’évolution de la conscience de l’Univers et que dans ce domaine aussi il est question d’examen, de seuil à franchir, d’évaluation, de rapports de synthèses. Pour le rapport d’étape justement se dit l’ange, il me faut une image ! Comment rendre compte, que de ce côté de l’Univers, les humains-terriens ont fait le choix de privilégier un mode particulier de l’échange : celui qui donne un repère unique à toute chose échangée qu’ils appellent l’ « argent » ? « Ce qui ne se compte pas en argent, ne compte pas ! » avait entendu dans son voyage des milliers de fois, l’ange. L’ange eu une idée : il dessina un champignon ! Avec du charbon noir, il barbouilla 800 petits carreaux de son cahier d’écolier. Ce sera pour représenter les 800 milliards de dollars que les hommes dépensent pour faire la guerre. Puis avec des morceaux de terres nues desséchées par le vent et le soleil, Il barbouilla 400 carreaux qui prirent ainsi une couleur flamboyante à la lumière de la lune. Ce sera pour expliquer les dépenses en papier, ordinateurs, télévision, satellites... que les hommes consomment pour échanger des mots sur leurs maux, se dit l’ange. Puis 400 autres encore pour les dépenses de stupéfiants. Puis encore 400 pour la publicité ! Quel art ont les hommes pour détourner le désir, la création, la liberté vers le besoin marchand ! s’exclama l’ange en feuilletant les pages du rapport officiel du PNUD Programme des nations unies pour le développement dont il tirait ses chiffres. Un vrai feu d’artifice ! Quand l’ange arriva au dessin du pied du champignon, il inscrivit le chiffre « 6 » : 6 milliards de dollars, c’est ce que les humains terriens dépensent pour l’éducation de leurs enfants. Soit cent trente fois moins que pour faire la guerre ! Juste au-dessus il colora en vert treize carreaux : les 13 milliards de dollars dépensés pour les besoins nutritionnels et sanitaires de base par les humains. L’ange s’autorisa une petite annotation en marge de la zone verte de son dessin : 40 % des humains dépensent moins de deux dollars par jour pour survivre. En prenant du recul l’ange fut surpris par son dessin : « cela ressemble à une explosion atomique, mon champignon ! » déclara-t-il. Le champignon du choix des humains terriens pour cette forme particulière de l’échange qu’est le marché ! Voilà qui fera impression pour introduire mon rapport d’étape à l’observatoire de la conscience universelle, se félicita l’ange.

Aristote et Homère En constatant que les humains avaient fait de l’économie une machine autonome, libérée de la morale et de l’éthique, pour donner une priorité à la relation des hommes aux choses plutôt qu’à la relation des hommes entre les hommes, l’ange se souvint de sa conversation avec un dénommé Aristote lors d’un de ses précédents voyages vingt siècles plus tôt. C’est la qualité des anges que de savoir se déplacer instantanément dans l’espace et dans le temps. —« En transformant les productions de biens indispensables à la vie et utiles à la communauté, en production de biens tournés vers le gain et le profit, il n’y aura plus de limite à l’accaparement de la richesse par le pouvoir et la propriété » lui avait dit ce vieil homme considéré à son époque comme un sage. Il se souvint qu’un dénommé Gandhi, lui avait redit un jour à peu près la même chose. « Il y a assez de richesses pour satisfaire tous les besoins des hommes, mais pas assez pour satisfaire leur besoin d’accaparement » La prophétie d’ Aristote s’était donc réalisée, et sous les yeux de l’ange la marchandisation du monde des terriens allait bon train ! Et comme toute prophétie en appelle une autre, l’ange se rappela d’une vision prospective encore plus lointaine que lui avait confié un dénommé Homère, un habitant de la Grèce vingt cinq siècles auparavant : —« Le monde sera un jour peuplé de demi-dieux (ou de dieux mortels) vivant au-delà des nuages, manipulateurs de signes et de symboles se faisant la guerre entre eux, tandis que la multitude des humains, soumise, sera en prise avec la dure réalité de la survie » avait dit le philosophe grec ! Encore une prophétie réalisée, s’exclama l’ange, en contemplant l’image de son champignon de particules virtuelles appelées signes monétaires par les hommes sur son cahier d’écolier. Il inscrivit alors en haut du champignon le nom de ces demi-dieux, les 225 plus grosses fortunes du monde qui en l’an 2000 avaient un revenu équivalent, en signes monétaires, à la moitié de la population de la planète Terre. Les terriens manipulés par une religion des signes ! Comment les autres anges allaient-ils le croire ? Plusieurs milliards d’humains, victimes anonymes, sacrifiées sur un autel que les hommes appellent « le marché sans frontière », cela ne manquerait pas d’émouvoir ses confrères les plus sensibles !. Le vent du Sud Perché tel un oiseau à l’écoute de sa quête sur la statue du veau d’or coulée avec des lingots au sommet de l’immeuble de la Fédération mondiale des Banques dominant le désert de l’Arizona, notre ange méditait sur les flèches reliant les nuages colorés de son dessin. Il lui fallait faire comprendre aux autres anges la dynamique cumulative des signes inventés par les hommes qui en si peu de temps avait sur-enrichit quelques-uns uns (leurs demi-dieux) pour rendre insolvables (sans argent) et dépendants, la majorité des autres. Il entendait déjà les questions des anges fuser dans tous les sens. - Quelle est donc cette « Main Invisible du Marché » dont parlent les hommes pour justifier leur abandon à décider en tous lieux « quoi produire ? » et « comment le produire ? » qui soit « indispensable à leur vie et utile à leur communauté » comme l’exprimait Aristote ? Car des que l’on parle de choses invisibles, les anges, eux, se sentent concernés ! Le monde invisible, c’est leur monde ! Tandis qu’il se laissait aller à ses méditations, notre ange fut interpellé soudainement par une rumeur portée par les vents du Sud. Remonter le vent n’est pas une difficulté pour un ange. D’un coup d’aile le voilà quitter Las Végas pour planer autour d’une ville appelée Porto Allègre, habitée d’un curieux tumulte. Une rencontre planétaire de tous les citoyens du monde ? Quelle belle opportunité pour un ange en quête de comprendre où en était la conscience des humains-terriens devenus si étranges avec leur religion de l’argent, référant de toute chose ! Des paysans sans terres revendiquaient le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. Un groupe commentait dans un coin la concentration du pouvoir des médias aux intérêts entremêlés avec ceux des marchands de canon. Un autre groupe autour d’un paysan fumant sa pipe, s’offusquait des brevets sur la vie, notamment avec les OGM, organismes génétiquement modifiés. D’autres groupes réclamaient le droit à la vie, à la dignité, pour sortir de la survie et parlaient de partage. Tous critiquaient la concentration des pouvoirs, les conditions inégales d’un libre-échange que les demi-dieux voulaient imposer à tous. Comme les demi-dieux voyageaient uniquement en avion dans ce qu’ils appelaient le « village planétaire », ils ne voyaient plus la misère du monde et ses innombrables différences culturelles... L’ange rajouta à son dessin de champignon des petits points minuscules en couleur bleue, comme pour désigner des germes de nouvelle conscience. Car il entendait déjà les questions des autres anges : « Que se passera-t-il sur la planète Terre quand ton explosion atomique du marché aura épuisé, comme tout incendie, tous ses combustibles ? » Les anges le savent bien : le capital monétaire évolue toujours de manière inverse à celui du capital social ! L’explosion de l’un, c’est l’implosion de l’autre ! Alors quand on est un ange expérimenté, on sait que c’est là où croit le péril qu’il faut aller chercher ce qui sauve ! L’ange su alors qu’il était au bon endroit pour pousser plus loin son investigation. Et dans ce genre d’endroit, on trouve toujours des personnes qui en matière de prise de conscience progressent plus vite que les autres ! Les anges les repèrent vite, question de métier d’ange !

La dynamique de l’explosion Dans la foule de Porto Allègre, l’ange eut une conversation à part au coin d’une rue avec un certain René Passet. Il lui montra son dessin de champignon nucléaire. Celui-ci ne fût point étonné. Il approuva son dessin parce que, dit-il, toute la « construction sociale de la réalité » à laquelle se réfère la science économique, autonome et hégémonique, ne puise ses repères que dans les sciences de la physique et de la thermodynamique et non dans les sciences de la vie ! Il rajouta que la surface de son champignon (sur 25 000 carreaux) aurait été six fois moins grande dessinée trente ans auparavant. Et que l’excroissance du chapeau s’était nourrie d’une croissance de 22 % des revenus du capital, tandis que la réduction du pied s’était faite conjointement à une réduction de 17 % des revenus du travail. L’ange comprit que son dessin de champignon avait été une bonne idée. De sa conversation avec René Passet, l’ange retint que la dynamique de l’explosion nucléaire avait été accélérée ces trente dernières années par un partage insuffisant du travail libéré par les robots, créant l’insolvabilité , comme par d’importantes spéculations sans création de richesses réelles.
-  « Cette révolution technologique centrée sur l’information aurait du nous faire - prendre conscience - du franchissement historique d’un nouveau seuil, de la transformation des mécanismes de la régulation et des moteurs de l’évolution ! » conclut ce professeur d’économie à la Sorbone qui avait compris qu’il avait affaire à un ange .. L’italien Ricardo Petrella, ancien directeur du programme de prospective de l’Europe, inquiet de l’épuisement des ressources de la Terre en eau potable, lui parla du danger de la marchandisation du savoir et de la connaissance par les demi-dieux siégeant au tribunal de l’OMC, l’organisation mondiale du commerce.
— Après la privatisation des services publics, est-ce la nouvelle étape déterminante de l’explosion atomique des signes monétaires, lui demanda l’ange en lui montrant son dessin de champignon tout en couleur ? Notre ange compris que ce que les hommes avaient appelé l’alliance du Progrès et de la Science au moment de la Révolution des Lumières, était devenu Techno science au service des demi-dieux, au détriment de la Conscience. Tous les anges savent que lorsque les « divinités de la Puissance » asservissent les « divinités de la Connaissance », toutes les portes sont ouvertes aux visions totalisantes et totalitaires qui se réclament toujours du jeu binaire de la guerre du Bien et du Mal. Et cela les anges, ils n’aiment pas du tout ! Parce qu’ils savent par expérience que la Vie n’y échappe pas ! Et sans le cadeau de la vie, comment peut-il y avoir une vie pour la Conscience ? Le débat des anges sur l’évolution de ce petit coin de l’Univers promettait d’être animé !

Le départ de l’ange En s’envolant pour d’autres planètes, l’ange dans son vol laissa tomber des milliers de plumes. C’est une pratique bien connue chez les anges. Sur chaque plume était imprimé un dessin de champignon aux multiples couleurs que, dans un grand rire, l’ange avait photocopié à l’envers ! Des hommes en ramassant ces belles plumes crurent reconnaître le dessin d’une poire colorée par un enfant ! Et dans de multiples endroits comme à Porto Allègre, des groupes se mirent à échanger et à imaginer ce que serait un monde où les budgets militaires seraient affectés du chiffre « 6 » et l’éducations du chiffre « 800 » (800 milliards de dollars) ! La où la réciprocité des échanges fut suffisante pour faire émerger de la pensée et de la conscience, apparut avec bon sens que de produire de l’humain et construire une pensée citoyenne responsable , devenait en tout lieu un préalable nécessaire à la production de biens utiles à la vie et à la communauté. N’est ce pas pour voiler les évidences que les demi-dieux ont horreur des anges ? Le mot éducation trop connoté de transfert de connaissance, fut remplaçé par « chemin personnel ouvert à la conscience » et « libre échange » par « libre conscience ». Travailler simultanément sur le rapport à soi (réconciliation), le rapport aux autres et le rapport au collectif, n’est-il pas (les anges le savent bien !) plus une affaire de conscience que de connaissance ? La reconstruction... d’une économie du bien à une économie du lien ? L’ange ferma les yeux pour imaginer ce que pourraient engendrer dans l’imaginaire des hommes ces plumes dispersées qui semblaient colorées par des enfants. Il cru voir un monde où l’espace-temps laissé vacant entre l’entreprise et la famille, deviendrait non plus celui accaparée par ce petit écran que les hommes appellent « télévision » aux mains des demi-dieux, mais le moteur d’un nouveau type d’activités « choisies », le plus souvent associatives et de reconnaissance, nourries de conscience. Que d’économies seraient ainsi réalisées sur les budgets de la peur et de l’insécurité qui nourrissent la croissance, pensa t-il ? Si les hommes se mettaient à dialoguer avec leur ange, ils ne courraient pas ainsi à essayer de rattraper le temps et « perdre leur vie à vouloir la gagner ! » songea t-il en sortant de son rêve.

En reprenant son vol pour quitter la Terre, l’ange fit une petite étape sur la lune. Avec leurs nouveaux dieux, les hommes ont engendré des maux qui les dépassent, c’est cela qu’il allait devoir expliquer à la conférence des anges. Serait t-il cru quand il parlerait des catastrophes physiques et morales qu’il avait rencontré ? Il essuya une larme du revers de sa manche. Jamais il n’avait ressenti à ce point l’éventualité d’une disparition définitive de l’espèce humaine qu’il avait appris au cours de ses différents voyages dans cette banlieue de l’Univers à tant aimer..

François Plassard janvier 2003. fplassar@club-internet.fr www.sapie.org/atp


Répondre à cet article

Forum de l'article