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(JPG) Nomadisme et itinéraires d’auto formation

Par Fatiha Kemat
Article publié le mercredi 28 mars 2007.


Synthèse d’un mémoire réalisé en sciences de l’éducation

I) enracinement de la recherche ; foyer d’un questionnement nomade

a) La troisième voie nomade

Nombre de mes interrogations se sont orientées sur la question du rapport entre sédentarité et nomadisme. D’une manière très manichéenne, ces deux concepts étaient synonymes de type d’architectures de vie et de personnalités diamétralement opposées, voir conflictuelles. La sédentarité dans son extrême s’associait à des principes d’enfermements, d’aliénation, par lesquelles l’individu ne cesse de se « cogner » à sa propre existence et à lui-même, sans possibilité d’accéder à des outils émancipateurs et apprenants. Sous le prisme de cette sédentarité, j’entrevoyais des existences fondées par de-là soi même, empruntes du poids du déterminisme social et culturel occultant ou rendant difficile des formes de créativités existentielles, identitaires.

En premier lieu, il m’apparaissait personnellement, difficile de concevoir son lieu de naissance, héritage familial depuis parfois des générations, comme seul bastion, racines, horizons de vie définissant son identité. Plus largement, je me heurtais à des réflexions sur les ce que peut générer « l’hyper sédentarité » ; obligation de sur-adaptation par rapport à un territoire non choisie, amoindrissant les capacités de projection individuelle. En effet, qui ne connaît pas la sensation d’étriquement social et psychologique, du fait d’appartenir soit depuis longtemps à un territoire ou de ne pas l’avoir choisi, ces moments ou le trop proche devient flou, le regard s’émousse, la curiosité s’éteint, ou « être là » par habitude se substitue au sens qui nourrit l’existence. Des instants ou l’on a la sensation de ne plus être maître de son histoire parce que l’on fait partie d’un ensemble social restreint, faisant que tous changements ou apprentissages personnels se limitent à ce qui ne crée aucun déséquilibre au sein de ce même ensemble. Il en résulte que les définitions de son identité personnelle en viennent à appartenir plus aux autres qu’à soi même, définitions qui peuvent amoindrir la tentative de recherche de modification ou enrichissement de cette dernière. En bref, j’associais la notion d’hyper sédentarité physique à une grande sédentarité psychique, sociale et culturelle, pouvant générer souffrance ou rétrécissement de soi. C’est donc tout naturellement que j’associais le mouvement physique comme principe apprenant, potentiellement émancipateur. Cette association s’est aussi enracinée dans le réel, ayant moi-même expérimenté et vécu un équilibre de vie basé sur des temps de mouvement et de sédentarité. Ce fut d’abord par l’imaginaire lors de mon enfance ou grâce à une littérature « voyageuse » j’en vins à regarder mon lieu de naissance et de résidence obligatoire comme n’étant qu’un lieu de passage transitoire, hébergeant mes dix huit premières années. L’appel de l’ailleurs était là, s’installait durablement et de manière de plus en plus pressante. C’est donc après avoir répondu à cet appel, que je rencontrai aussi nombre de personnes, qui elles aussi s’essayaient à un fonctionnement nomade, sur lequel nous finissions par nous interroger réciproquement. La somme de ces interrogations et expérimentations, au fil des années, fit naître l’intuition qu’il existait une alternative à l’hyper sédentarité physique ou à un mouvement physique forcené. L’idée était de ne plus se limiter à la seule fonction du départ, ce que d’autres nomment « l’appel de l’ailleurs » ou la « pulsion migratoire ». Il était également nécessaire d’aller plus loin que de seules pensées réactives, qui laissent place à des analyses et des pensées par trop binaires, issues d’un questionnement quelque peu abrupte. C’est ainsi qu’est née cette recherche, une recherche qui complexifie et explore une intuition de départ, l’intuition de l’existence d’une « troisième voie nomade.

Nous verrons par des recherches théoriques, historiques et analyses d’histoires de vies, combien cette forme particulière de nomadisme porte en elle des enjeux tant sociologiques que philosophiques, éducatifs et voir même politiques.

Ce sont là, des ensemble de réflexions, bribes de la recherche à venir, qui trouvent échos dans un écrit de Bruce Chatwin, s’appuyant sur une thèse de Pascal : « En devenant humain, l’homme avait acquis, en même temps que la station debout et la marche à grandes enjambées, une « pulsion » ou instinct migrateur qui le pousse à marcher sur de longues distances d’une saison à l’autre. Cette « pulsion » est inséparable de son système nerveux et, lorsqu’elle est réprimée par les conditions de la sédentarité, elle trouve des échappatoires dans la violence, la cupidité, la recherche du statut social ou l’obsession de la nouveauté. » (Chatwin.B.,1996,p.26) Dans le prolongement de cette thèse, c’est aussi Schopenhauer et Palante qui évoquent le principe de « l’eudémologie » ; l’action de pratiquer des micros ruptures territoriales, afin de trouver respiration psychique et intellectuelle par rapport à un ancrage. Palante écrit à ce sujet : « Quand nous avons vécu pendant quelque temps dans un milieu étroit qui nous circonvient et nous harcèle de ses mesquineries, de ses petites critiques...rien ne nous rend le sentiment de nous même comme une courte absence, un court voyage. » ( With, K. 1987)

L’enjeu de ma recherche était donc de sortir d’un mode de représentation porteur de dualité qui ne permet de n’entrevoir que deux types d’hommes : des sédentaires solidement ancrés à leur sol, leurs traditions, en opposition à des nomades (en tribu ou isolés) en perpétuel mouvement, un mouvement que l’on associe à tort à de l’errance et du non sens, en passant aussi par l’imagerie des aventuriers ou des voyageurs de l’extrême. Une opposition que l’on retrouve dans quelques disciplines des sciences humaines ou littéraires ; l’arbre qui dissimulerait la forêt, en quelque sorte, un arbre que nous allons contourner afin de déambuler dans les territoires de cette « troisième voie nomade ».

Force est de constater que de tout temps, des hommes ont expérimenté une « troisième voie », alternative aux deux autres précitées. Parmi ceux là, il en est qui ont alterné, des temps d’itinérance, de mise en mouvement, de nomadisme entre des ancrages territoriaux différents, de sédentarité physique...choisis par eux même. Ces derniers étaient mués par une quête de connaissance ou une quête mystique il s’agissait par le passé, d’intellectuels, de philosophes, d’artistes, d’hommes de religion ou de membres de corps de métiers tels que les compagnons..... Ils étaient avant tout itinérants et nomades physiquement pour servir un nomadisme intellectuel et nourrir leur quête existentielle.

b) Nomadisme, entre être et apprendre

Quelle place et rôle du nomadisme aujourd’hui ? Une question captivante, à l’heure où les questions identitaires et d’appartenance ne cessent de se redéfinir. D’autant plus captivante, si l’on constate que les trajectoires de vie, peuvent se caractériser par une complexité notable ou une totale atomisation. Un monde fait de plusieurs mondes qui s’entrecroisent, se superposent, pouvant nous entraîner dans une forme d’errance existentielle, sociale et culturelle. Des trajectoires de vies, qui comportent plusieurs séquences de vies en une, accompagnées de temps de ruptures ou micro ruptures sociales, professionnelles, territoriales de plus en plus fréquentes, et parfois désarmantes.

Il y a là une invitation à l’apprivoisement de la multiplicité, des zones floues ou espaces intermédiaires qui jalonnent nos existences d’un point de vue territoriale et symbolique. A ce propos, Georges Balandier caractérise nos sociétés post industrielles par le concept d’une « société de bifurcation » : « l’idée de bifurcation est aussi transposable et déjà utilisée. Elle limite l’emprise des déterminismes sociaux. Permet de situer des points de liberté, d’identifier des possibles. Les sociétés de la modernité les plus activées commencent à être considérées comme des sociétés de bifurcation : la sélection des possibles se ferait successivement et progressivement, à la façon dont un parcours est effectué de carrefour en carrefours, jusqu’à parvenir à un terme encore inconnu » (Balandier,G.1988) Nous sommes aussi dans une configuration mondialisante : une nouvelle organisation spatio-temporelle est en œuvre : l’ailleurs semble proche, relié à l’ici, « circulation à tout va », mais quelle circulation des informations, des individus, croisements de réseaux socioculturels ? L’on parle de nomadisme au travers de l’avènement des nouvelles technologies, l’apparition de nouveaux nomades est évoquée, un concept résolument à la mode. Mais qu’en est-il véritablement ? N’y a t il pas une hâte à brandir un terme, de manière quelque peu superficiel, alors qu’un nomadisme ancestral, non tapageur se vit depuis la nuit des temps ? Ceci sans jamais avoir été considéré par nos sociétés occidentales. Un nomadisme discret, mis en œuvre aussi par des contemporains, qui sert et définit leur rapport à l’existence et aux savoirs à la rencontre de soi et des autres... Un nomadisme toujours aussi mal connu, voir dénié par nos institutions éducatives, universités, organismes socioprofessionnels, politiques.

En effet, paradoxalement, alors qu’aujourd’hui les institutions dispensatrices de savoirs, de formations sont florissantes et relativement accessibles, celles-ci semblent avoir trouver leurs limites, des lignes de fuite se dessinent. Un nouveau sujet social et apprenant émerge. Un sujet qui désire apprendre en lien avec son existence, auteur de sa propre géométrie intérieure,Georges Lemeur constate le fait suivant : « La pratique pédagogique, qui reste l’apanage des directions, freine souvent les souhaits d’autonomisation des sujets apprenants. Le fait que les institutions n’accordent pas facilement les autorisations de choix personnels aux apprenants entraîne des attitudes éducatives nouvelles (...) » « En effet, nous constatons que la famille, l’école, les églises, l’armée, l’entreprise, disons l’ensemble des institutions, s’appliquent toujours à inculquer des savoirs sélectionnés à leurs membres. Souvent ces formations sont indispensables pour la société, mais elles inhibent parfois certains apprentissages. De plus, elles interdisent particulièrement la créativité et le désir d’autonomie des acteurs. Elles les dirigent pour une vie quotidienne conforme vers des buts explicites ou cachés, sans se soucier de leurs intentions et de leur adhésion à leurs objectifs » (Lemeur,G.,1998) C’est ainsi, qu’un passionnant champ des sciences de l’éducation s’ouvre, celui de l’auto formation, dont les acteurs de l’ombre sont appelés entre autre : « néo-autodidactes » Par ailleurs, lorsque que l’on se penche sur les pratiques d’auto formation et les revendications ou motivations des « néo autodidactes », il émerge des parallèles avec ce qui fonde « le nomadisme » et par la-même des sujets « nomades.

Nomades et auto formants, deux entités floues, qui ne font parfois qu’une, c’est entre autre ce que notre recherche s’attache à explorer, d’où une analyse explicitant des mécanismes communs à ces deux concepts, mais exprimés par des langages différents et dans des champs spécifiques à chacun. Nous verrons aussi comment ces deux concepts, renvoient à une même forme d’acte de résistance, pour sa propre existence, car nomades et auto formants, se révèlent être des individus qui n’ont de cesse de vouloir exister, renvoyant à l’étymologie : ek-sistence, qui sous entend, le mouvement, la coupure, le départ, le lointain, exister c’est sortir de soi.

3) esquisse du nomadisme

Il s’agit d’un nomadisme individuel ou le déplacement spatial est stratégiquement mis en œuvre de manière consciente (et) ou inconsciente, des déplacements non pas dans le seul objectif de parcourir de la distance, mais pour opérer et générer des mouvements, changements, apprentissages internes de l’ordre du culturel, de l’intellectuel et du psychisme et existentiels.

Il y a navigation et passages récurrents entre des points d’ancrages clairement identifiés, des ancrages qui servent les attentes ou les projets du sujet d’une manière temporelle et lors de séquences de vie clairement identifiées. La durée d’existence de ces ancrages est variable, mais ces derniers se structurent autour d’un ancrage que reste le principal, prédominants sur les autres, ayant pour fonction de point de départ et de retour. L’ancrage principal, pouvant se substituer à un autre au fur et mesure de ce qui se tisse. C’est ainsi, que le sujet « nomadisant » se structure autour de plusieurs territoires, géographiques, sociaux ou culturels. Il s’ensuit une accumulation de points de sédentarité physique et d’ancrages symboliques variables dans leur durée d’existence et dans leurs fonctions. Ce sont les passages récurrents entre ceux-ci et par la-même l’appartenance multiple qui génèrent une dynamique nomade. Cette dernière, ayant pour première manifestation une visibilité externe entraîne un ordonnancement de l’ordre de l’interne, complexe pour l’individu nomadisant. La symbolique et la cohésion de ces territoires prennent leur force et place dans la capacité du sujet à produire du sens, du sens régulièrement revisité, rythmé par les allers retours. Le nomadisme renvoie aussi à ce que nous dit Leroi-Gourhan « La perception du monde environnant se fait par deux voies, l’une dynamique qui consiste à parcourir l’espace en en prenant conscience. L’autre statique qui permet, immobile de reconstituer autour de soi les cercles successifs qui s’amortissent aux limites de l’inconnu »

Nous verrons également la manière dont par l’apprivoisement et l’appréhension du déplacement, s’installent des ressources psycho-cognitives et sociales chez le sujet de manière durable, au travers de l’acquisition d’une identité et d’un regard nomade, donnant lieu à l’émergence de nouveaux types d’apprentissages, de reliances et de positionnements existentiels.

Une manière d’être, d’agir, de penser, d’apprendre qui suggère aussi que le mouvement dans sa pratique et ses effets ne se trouve plus forcément dans la nécessité à se jouer physiquement, mais se vit d’abord à l’intérieur de soi. Pourrions-nous alors parler de la naissance d’hommes capables d’être des « voyageurs immobiles » ? Une autre interrogation susceptible de nous mener vers un début de réconciliation et de complexification entre ceux que l’on a l’habitude d’opposer ; ceux qui bougent et ceux qui ne bougent pas. Il serait alors possible d’imaginer que nos sociétés travaillent à faire émerger un homme nouveau, un homme nomade issu du XX e siècle, dont Martinson.H prône l’immanence : « Il est vraisemblable que l’être humain, las de son vide, de son agitation à l’intérieur des barrières qui emmurent sa vie, passera un jour par simple évolution à une vie plus vivante de relations, prendra une attitude nouvelle, féconde et affranchie, à l’égard de tout son globe terrestre et deviendra ce à quoi peut être au fond il est propre et destiné ; un régisseur et un stimulateur des espèces, un géosophe... » (With.K. 1987,p.43,citant Martinson (H))

Enfin, le nomadisme propose une dynamique, de l’entre deux, qui permet de vivre les dimensions que l’on retrouve dans la structure anthropologique du « voyage », mais qui la est partie prenante de la « vie courante », sans faire rupture avec celle ci, en effet, la spécificité du nomade étant d’avoir une trajectoire récurrente : « Il évolue dans un espace et il revient sur les mêmes pistes, les éclairant peut être s’il est nomade intellectuel de nouvelles lumières » (Criton.P.1995)

Nous verrons comment cette dynamique met en jeu, induit, des pratiques d’autoformation, et quelles sont les concomitances existantes entre ces deux concepts. Une analyse explicitant des mécanismes communs à ces derniers, mais exprimés par des langages différents et dans des champs spécifiques à chacun des deux concepts. Aux vues de ces premiers éléments de réflexion, nous regroupons ces sous-questions sous une principale : le nomadisme, quel chemin de pratiques d’auto formation pouvant contribuer à produire son existence et soi-même ?

4) Des trajectoires nomades

B) Méthodologie de la recherche

Nos trois personnages sont âgés de 35, 44 et 55 ans, respectivement issus de trois milieux sociaux différents : cadre moyen, ouvrier et cadre supérieur. Ils correspondaient aux critères préalables à toute interview ; l’itinérance, la mobilité géographique leur sont familières et présentes par séquences par séquences au long de leur vie. Ils devaient, à l’intérieur de cette notion, au premier contact transmettre ou dégager l’image d’être relativement acteur de leurs mises en mouvements, d’un point de vue personnel, se rapprochant d’une conception de choix de vie, d’une stratégie de vie. Aussi, d’une manière plus fine, ils devaient suggérer qu’ils étaient dans la conscience que leur nomadisme était au service d’une partie du développement et de la mise en place de leur formation, sur les plans psychiques, sociaux et culturels. Enfin, ils devaient être en mesure de répondre d’ancrages géographiques, sociaux, professionnels.

Trois hommes qui nous font voyager au cœur de leur histoire, existence de nomades de tous les jours et de l’ombre. Trois hommes qui plus que seulement penser sur le nomadisme le vivent dans ses difficultés, ses suites d’instants rares et précieux, ses doutes, « ses mises en abîmes » pour se trouver. Ils nous parlent de leur lutte pour se bâtir une existence qui soit plus proche d’eux-mêmes, de leur quête des autres et du monde, au travers du difficile équilibre que propose le nomadisme.

Leur interview est axée sur quatre grandes thématiques, ils furent invités à :
-  raconter la manière dont ils se sont construits et ont construit leur existence sous l’éclairage de leur nomadisme.
-  définir le pourquoi, le comment, le contenu et l’origine de chaque itinérance
-  décrire les apprentissages effectués et leur modalité d’acquisition par rapport à leur nomadisme.
-  s’exprimer d’une manière globale sur leur nomadisme.

Nous même, notre analyse s’appuie pour chacun des sujets sur les thématiques découpées de manière suivante :
-  portrait générique des sujets.
-  reconstitution des itinérances et élaboration d’une cartographie géographique, chronologique, temporelle et fonctionnelle de ces dernières.
-  l’origine de leur nomadisme.
-  allers retours détours, ce qu’ils en ont fait, et ce qu’ils n’en ont pas fait.
-  ce qu’ils disent du nomadisme

B) Paroles de nomades (extrait illustrant une partie de la recherche effectuée)

Nous avons pu constater que nomadisme se joue sur séquences vies particulières, mais chez chacun des sujets, il s’enclenche vers 18 ans, motivé par une lutte contre les déterminismes sociaux, des environnements ressentis comme étriqués, normatifs.

-  Renzo : « Je me rends compte que je suis souvent aller à l’étranger, parce que moi, je n’ai pas suffisamment de satisfaction à rester ou je suis en Italie, c’est tout fermé, tout carré, c’est très conservateur, je voulais découvrir des choses, d’une manière consciente ou inconsciente qui ne sont pas là près de moi »

-  Philipe « J’avais des parents qui ont eu une vie assez dure, qui étaient très normaux, c’est à dire c’était très normatif ce qu’ils vivaient et très dur, j’avais envie de sortir de là, ce phénomène travail, argent, dodo, j’avais envie de vivre, par ce que par rapport à ça, ils n’ont pas vécu, ils ont été pris ds un système duquel ils ne pouvaient pas sortir »
-  Olivier : « mon enfance c’était les mines de charbon très structuré socialement...au sommet de sa gloire. ce monde était hiérarchiquement sans surprises, chacun avait sa petite maison, c’était un monde qui manquait de jeu, donc c’était fuir un milieu trop structuré »

-  Une fuite ????? Certes, mais non lâche, qui est la possibilité de se donner de chercher a créer sa différence : renvoie fortement à deux dimensions existentielle de l’auto formation qui sont : -La « tentative d’accomplissement au monde » « cela autorise chacun à essayer dans l’intimité de son être et ds les aléas de son histoire, de produire des formes singulières de sa présence au monde, car de cette façon, il devient producteur de sens » (Roelens N, 1996) -L’autonomisation symbolique : « qui consiste à s’extraire du discours des autres sur soi et à construire sa propre parole sur le monde, c’est l’enjeu existentiel de l’auto formation » (Ibid) Ils rejoignent l’idée de Gide, le nécessaire arrachement du terreau familial « seul resteront vivantes les plantes qui jailliront loin de l’arbre semeur »

-  Sous jacent en permanence à leur démarche, quand le besoin se fera sentir, ils expérimentent : le goût du dehors « cette idée sans doute que le monde est partout, ici autant qu’ailleurs, mais il appartient à chacun d’en trouver l’accès, lequel ne se découvre jamais mieux que par déplacement géographique ou mental. Bref que c’est l’ailleurs et l’autre qui nous ouvrent au monde, aux autres et à nous mêmes » (Lebris M, 1997))

-  Globalement leur démarche correspond à une définition de l’auto formation selon Pineau G : « Il s’agit d’une formation de soi par soi, avec soi et de l’appropriation de sa formation par l’être humain en lutte avec les déterminants sociaux. Elle consiste à se donner une nouvelle forme et ainsi à reconnaître qu’aucune forme achevée n’existe à priori et que sa construction est permanente. Ce point de vue postule que la personne ressortit à un devenir, se positionne en projet et ne souhaite pas confier à un tiers son processus de dévellopement » (Pineau G,1989,)

-  Philipe : « Le fait de bouger, quelque part c’est me former, c’est former ma personne, à chaque fois c’est apprendre des choses nouvelles, c’est me former dans ce que je suis, par rapport au voyage, je ne serai pas arrivé à mon niveau personnel, je crois que je serai resté ds un monde pépère, bouger ça a été aussi de me libérer, me libérer de pleins de choses que j’aurai pas pu faire autrement, ce dont je m’aperçois c’est que petit à petit à petit ma vie se construit, et qu’elle se construit d’une façon qui me plait, et ça, ça m’interesse »

-  Renzo « En bougeant, j’ai vu et entendu que je pouvais adopter un style de vie qui est plus juste pour moi, que donner des valeurs aux actions, c’est une raison pour continuer, pour se gratifier pour être autonome. Mais c’est surtout un travail inconscient, parfois c’est une nécessité à moi-même, donc j’ai cherché de mettre en place ce que je veux » Ils nous renvoient également au concept de formation existentielle qui est celui de la Bildung : « travail sur soi, culture de ses talents pour son perfectionnement propre. Elle vise à faire de l’individualité une totalité harmonieuse la plus riche possible, totalité qui reste reliée pour chacun à son style singulier, à son originalité. La bildung est donc la vie au sens le plus élevé » (Galvani P, 1997)

-  Ce développement, ils l’ont mis entre les mains d’une dynamique nomade, en permanence dans l’un des fondements de l’auto formation selon P Galvani : « l’autoformation transforme les rapports transmis par l’usage en établissant un rapport neuf et personnel, aux autres, aux choses et à soi mêmes » (Ibid) Ceci lors de temps qui correspondent aux dynamiques temporelles de l’autoformation selon PierreTap : Le contrôle : Désir de cohérence, coordination au travers de son propre regard, celui ds autres, celui des autres : contrôle de situation, soi, impulsion idées, émotions, œuvrer pour image de soi recevable La relance : se fonde sur nécessité, aussi suite à émergence d’une crise qui fait qu’individu doit se positionner autrement pour reconstruire identité et projet de vie La transition : moment de vie fait d’incertitude, qui se situe dans l’entre deux, entre ce que personne sait ce qu’elle a été, envie de devenir recherche et ignore la stratégie à mettre en place pour se continuer, tout en se renouvelant.

-  Des temps de recherche, dont le moteur était l’itinérance pour travailler leur rapport avec aux mêmes prendre conscience de leurs attentes existentielles et les mettre en œuvre parvenir à prendre place dans un environnement formuler des lectures du monde réfléchir sur leur sens de leur vie & l’alimenter générer apprivoiser faire leur l’événement appréhender des démarches d’autonomie et de projection

-  En effet, notre recherche montre que le nomadisme et ses dimensions se révèlent être un système complexe, véritable foyer d’organisation, d’interaction, de densification entre le sujet nomade et les trois grands maîtres de la formation selon Rousseau « La nature humaine ; les choses, la société »

Nous avons analysé que

-  la multi appartenance génère ; une « A-méthode » ou « périègèse » des errements dans différents domaines, une démarche décrite par Heidegger comme étant : « Une manière de se mouvoir et d’accumuler des connaissances ds un milieu complexe contenant des devellopements surprenants et imprévisibles »
-  Ils parlent aussi de leurs multi appartenance comme « des entres deux du possible », concept amené par Bonal M. Desbarat : « Ces lieux par lesquels on passe pour devenir différent et tenter de faire quelque chose de sa différence ; ces moments ou nous sommes entre deux dans les contextes les plus variés...l’entre deux se révèle être un passage ou une impasse » (Bonal M-Desbarat M, 1996)

-  Mais aussi par la présence de « l’entre deux » ou « espace intermédiaire » qui est signifié par le temps et l’espace de passage entre deux territoires.

-   Le sujet se situe entre le dedans et le dehors « c’est un moment suspendu » qui crée une temporalité flottante ; « Un moment ou l’histoire s’affranchit des limites du temps chronologique de tous les jours. Ce temps flottant est le tps du regard sur l’histoire ou l’errant s’interroge sur le passé en même temps qu’il réfléchit à son futur proche, l’errant est comme l’herbe de Deleuze qui pousse par le milieu » (Laumonier A, 1997)
-   De par situation d’être au milieu, le sujet devient lui-même frontière « Le sujet est devenu l’espace intermédiaire lui-même, la propre frontière ou il erre tentant de réconcilier l’intimité avec les lieux du monde et singulièrement le lieu d’être » (Handke)
-   Il peut prendre distance, ordonner et entrer ds ce qui constitue le triangle de l’auto formation, : « principe d’échange entre le « moi », les autres et les choses par le devellopement d’1 boucle réflexive qui fonctionne par distanciation » (Moisan A, 2000)
-   L’espace intermédiaire agit comme « foyer d’organisation et de relation » déclencheur de l’auto formation, il y a mise en situation auto référentielle qui émerge lors de ce temps : « Contact muet, austère et déroutant s’il en est. Mais sa prise établit peu à peu un rapport d’apprentissage et de compréhension qui intériorise et extériorise les liens de solidarité écologique, la nature d’étrangère devient partenaire » (G. Pineau) le sujet entre en dynamique « d’auto-éco-formation expérientielle »
-  
-  Philipe : « c’est vrai que ça me convenait d’être 15 jours à un endroit, puis alterné 15 jours avec l’autre, parce que je changeais de monde, en même temps il y avait le voyage, le voyage c’est important, c’est là ou tu réfléchis, il y a plein de choses qui te viennent ds la tête »
-  Olivier : « C’est un ressourcement d’énergie d’être au nœud de plein de réseau, c’est à dire que en fait toutes ces rencontres, finalement ces micros ruptures sont pleines d’énergie, c’est à dire te donnent la motivation à t’apprivoiser, à aller au devant de l’inconnu...c’est le processus inventer en marchant. » Ce qui caractérise aussi leur parcours, nous est donné par Nietzsche, qui évoque la voie hyperboréenne » pour caractériser les « parcours nomadiques » : « Il est des hommes qui ont beaucoup d’accidentels en eux, et se plaisent à vagabonder, d’autres qui ne vont que par des chemins frayés vers des buts.... Les hommes inventifs vivent tout autrement que les actifs : il leur faut du temps pour que se déclenche leur activité irrégulière et sans but, expériences, nouvelles voies, ils tâtonnent plutôt qu’ils ne se contentent d’emprunter les chemins frayés comme le font les hommes de l’action efficace » (With,K.,1987citant Nietzsche(F))

Ce type de parcours, dans un même prolongement « initiatique », fait entrevoir une dimension attenante au nomadisme ; celle de « l’aventure » ou plutôt la capacité identifiée chez les sujets nomades à « des mises en aventure » L’aventure qui est « exploration des possibles de la condition humaine, refus des contraintes d’une identité trop limitée, elle est notre aspiration secrète, notre nostalgie toujours renouvelée. Le désir d’aventure marque l’inachèvement de la condition humaine, cette aspiration inguérissable à vouloir ce qui n’est pas encore, à répondre aux lignes de fuites de l’imaginaire en se voulant autre que soit (...)Chacun est appelé à cette aventure. Sans elle, la grande somnolence qui pèse sur les hommes, quand ils répètent sans souffrir discussion ce que d’autres ont pensé, vire très vite en violence ténébreuse. Savoir se risquer à l’aventure intérieure ne signifie pas quitter le monde et s’opposer à l’extériorité, mais au contraire, éprouver ce que ce monde et cette extériorité attendent de recevoir de celui qui s’est engagé en elle, un éclat de lumière dont ils manquent » (Lebreton. D.,(1996)) En effet, l’éthymologie du terme d’aventure trouve sa source dans le latin « adventura », l’évenement « Ce qui rompt la calme succession des jours et provoque l’étonnement, la surprise, le mémorable extérieur à la trame globale de la vie » (Le breton, D, 1996). L’aventure se situe dans la marge, ses dangers potentiels, autant que ses possibilités créatrices réveillent le sujet à une réceptivité accrue, projetant hors du quotidien, du connu : « L’exaltation qu’elle suscite provient de ce cheminement sur le fil du rasoir qui donne à tout instant à l’aventurier une conscience aigue d’exister. Plutot qu’événement, l’aventure est avènement dans la mesure ou sa durée privilégiée accouche d’un homme nouveau transfiguré par les circonstances, étranger à la fadeur » (Ibid)

Ceci n’est pas sans rappeler des processus et conditions de l’auto formation, notamment expérientielle et existentielle. Un processus par lequel le sujet se donne entre autre, à vivre des expériences novatrices et déstabilisantes, qui lui demanderons un travail de réunification, source d’apprentissages, dans la condition ou ce dernier opère une réflexivité entre lui-même et la matière de ces expériences. Une aventure donc bien intérieure et intime, se déclenchant par des rapports denses et neufs avec l’extériorité.

5) Conclusion :

La mise en place d’une dynamique nomade permet au sujet d’opérer des pratiques d’auto-éco-co-formation expérientielles, existentielles, cognitives sociales et intégrales, celles ci s’inscrivant dans le champ des apprentissages non-formels et informels Il y a installation d’une boucle rétro-agissante entre le nomadisme et les pratiques d’auto formation qui se nourrissent réciproquement. Ils participent (entre autre) d’une même quête existentielle, d’une lutte contre les déterminismes sociaux, d’une formation de soi, par soi, avec soi. Le nomadisme et les dimensions dont il est porteur se révèlent être un système complexe, véritable foyer d’organisation, d’interaction, de densification entre le sujet nomade et les trois grands maîtres de la formation selon Rousseau « La nature humaine ; les choses, la société »

Enfin, nous avons vu au travers de trois sujets différents, que ce qui fonde le concept de nomadisme d’un point de vue mécanique et fonctionnel, se retrouve chez chacun d’eux, mais qu’ils le vivent et l’utilisent dans leur propre particularité et au service de leur singularité, pour la construction de leur propre existence et auto formation. Nous terminerons par la question de Jean Borreil : « la vie d’un humain, qu’est ce en effet, sinon cette interminable nomadisation sur place dans laquelle il y a toujours à voler, à prendre, c’est à dire apprendre, c’est à dire traduire et à transcrire pour son propre compte ? » (Borreil J, 1993)

Bibliographie (restreinte) Balandier (G), 1988, Le désordre ; éloge du mouvement, Paris, Fayard, 252 p. Chatwin (B), 1996, Anatomie de l’errance, paris, Grasset, 265 p. Galvani (P), 1997, Quête de sens et formation, l’Harmattan, Paris, Canada (Montréal), 229p Pineau (G), 1989, « La formation expérientielle en auto et co-formation) In éducation permanente (100-101), Paris. Roelens (N), 1989, « La quête, l’épreuve et l’œuvre » In : Education permanente (100/101), Paris. Lebreton (D), 1996, « L’extrême Ailleurs : une anthropologie de l’aventure » In Autrement collection mutations (160), Paris. With (K), 1987, L’esprit nomade, paris, Grasset, 309p


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