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(JPG) Mexique : Oaxaca ou l’épreuve de force médiatique

Article publié le vendredi 10 novembre 2006.


L’envoi de la Police fédérale préventive (PFP) à Oaxaca, le 29 octobre 2006, ne suffira pas à résoudre le conflit qui enflamme depuis deux ans l’un des Etats les plus pauvres du Mexique. L’épreuve de force entre le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz (issu du Parti révolutionnaire institutionnel, PRI, qui dirigea le pays pendant soixante-dix ans jusqu’en 2000) et ses opposants de l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO) aura culminé avec l’assassinat, le 27 octobre, par les sbires du premier, d’un jeune cameraman américain d’Indymedia, Brad Will. Un culte est désormais rendu au « gringo » venu soutenir la rébellion locale et nous voilà presque revenu aux grandes heures d’Il était une fois la Révolution, celle de Zapata. Si elle marque un vrai tournant, la mort tragique de Brad Will ne doit justement pas occulter toute l’envergure médiatique d’un conflit qui l’aura été de bout en bout. Oaxaca (appelons-le conflit par son lieu) commence en grande partie lorsque les soutiens du gouverneur font irruption à deux reprises, les 28 novembre et 1er décembre 2004, dans les locaux du quotidien Notícias de Oaxaca, qui dénonce les pratiques financières et sécuritaires de l’élu. Ces deux opérations musclées se soldent (déjà) par la mort d’un jeune homme de dix-neuf ans.

Salaires impayés, corruption, abus de pouvoir, brutalités policières... Ulises Ruiz Ortiz croit juguler la contestation en tentant de réduire la presse au silence. Le 17 juin 2005, après de multiples agressions et échauffourées, la Confédération révolutionnaire ouvrière et paysanne (CROC), qui se réclame du gouverneur, occupe la rédaction de Notícias de Oaxaca, séquestre 31 employés du journal - qui seront expulsés un mois plus tard - et bloque sa diffusion. A l’extérieur, les « croquistes » s’attaquent aux vendeurs à la criée. La situation va ainsi durer plus de six mois sans que le gouvernement fédéral ne daigne réagir. Le mal est fait. Le 22 mai, les instituteurs prennent le relais, les rangs de l’APPO gonflent et avec eux, les mots d’ordre. Le 14 juin, il n’est plus seulement question d’arriérés de salaires mais de démission du gouverneur. Cette fois, on joue média contre média.

Le 1er août, l’APPO occupe le groupe audiovisuel public de l’Etat, la CORTV (Corporación Oaxaqueña de Radio y Televisión) pour faire passer ses revendications. Deux jours plus tard, sous la pression des opposants qui les accusent d’être à la solde du gouverneur, les rédactions des journaux locaux Tiempo et Extra mettent provisoirement la clé sous la porte. Le 21 août, la chaîne Canal 9 de la CORTV, toujours occupée par les militants, est la cible d’une attaque à main armée. L’APPO réplique en prenant d’assaut le même jour deux stations de radios commerciales, AICR et La Ley (« la loi »). Le lendemain, les policiers envoyés déloger les opposants ouvrent le feu sur deux photographes des quotidiens nationaux Milenio et Reforma et une équipe de TV Azteca venus couvrir l’opération. Le 27 septembre, alors que la contestation a tourné à la bataille rangée, un début d’incendie criminel endommage la station de radio La Consentida, dont le propriétaire est un député de gauche hostile au gouverneur. Des slogans de l’APPO maculent les lieux, mais le propriétaire croit à un coup monté d’ « Ulises ». L’APPO donne de la voix sur Radio Universidad, que la troupe fédérale tente de museler dès son arrivée à Oaxaca. L’avant-veille, Brad Will a été tué et deux bombes exploseront un peu plus tard à Mexico devant le siège du PRI. Le conflit de Oaxaca concentre-t-il toutes les amertumes d’une démocratie mexicaine encore à la peine, comme l’a démontré l’élection présidentielle du 2 juillet ? Le pays, devenu le plus dangereux du continent américain pour la presse, n’a malheureusement pas failli à sa réputation.

Benoît Hervieu, bureau Amériques de Reporters sans frontières


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