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Bolivie : Evo Morales et la "terrible conspiration"

Par Paulo A. Paranagua
Article publié le mercredi 18 octobre 2006.


L’affrontement qui s’est soldé par la mort de 16 mineurs, les 5 et 6 octobre, à Huanuni (département d’Oruro), a été un choc pour les Boliviens et surtout pour le gouvernement d’Evo Morales (gauche), qui a pris ses fonctions en janvier.

"L’instabilité est de retour", titrait l’hebdomadaire centriste Pulso, le lendemain de la tragédie. Sous les dorures du Palacio Quemado, le palais présidentiel, le premier chef d’Etat bolivien d’origine indigène ne cache pas son amertume : "La hausse des cours de l’étain et des minéraux était une bénédiction pour la Bolivie. Et voilà qu’une dispute sanglante entre secteurs rivaux en fait une malédiction", confie M. Morales au Monde. "Les coopératives minières voulaient exploiter à elles seules le Cerro Posokoni (la principale réserve d’étain du pays), ce que les mineurs salariés de l’entreprise publique Comibol refusaient, explique le président. L’ambition a prévalu sur la raison, surtout chez les mineurs des coopératives."

Le ministre des mines, Walter Villarroel, a été limogé à la suite des violences. Il était justement un représentant des coopératives et avait été nommé par M. Morales en guise de remerciement pour leur soutien lors de l’élection présidentielle de 2005. "Dans certains bassins, les soi-disant coopératives sont devenues l’instrument des moyennes et grandes entreprises minières, poursuit le président. Parfois, les ouvriers n’ont même pas le droit d’être syndiqués. Maintenant que nous avons un gouvernement populaire, la résistance ne vient plus du syndicat des mineurs, mais du secteur oligarchique."

"Nous ne voulons pas avoir recours à la force, car j’ai été moi-même victime de la répression, assure M. Morales. Mais certains mouvements sociaux ne sont pas des instruments de libération, mais des facteurs d’oppression. Au lieu de contribuer à l’émancipation du peuple, ils servent à perpétuer le système et l’empire (les Etats-Unis)."

La Centrale ouvrière bolivienne (COB) estime que la responsabilité du gouvernement est engagée. Le président Morales, lui-même ancien leader syndical, s’insurge : "Les syndicats, qui ont été à la pointe de la lutte contre les régimes militaires, demandent aujourd’hui la présence des forces armées dans la région. Quelle énorme contradiction ! Ils sollicitent notre aide et, en même temps, ils rejettent sur nous la responsabilité pour les morts."

"Ces dirigeants tentent d’échapper à leur propre culpabilité, poursuit M. Morales. Ils demandent déjà une amnistie pour éviter la prison. C’est malheureux, mais certains mineurs pratiquent le double langage."

Le président de la République est plus à l’aise sur les performances de l’économie bolivienne : "Pour la première fois depuis longtemps, nous allons finir l’année avec un excédent budgétaire de 1,5 %", annonce-t-il, euphorique. Emporté par son enthousiasme, il a fait l’éloge de l’impôt devant une foule clairsemée, sur la place San Francisco, à La Paz, jeudi 12 octobre, à l’issue d’une rencontre internationale de peuples indigènes.

Il prend un plaisir visible à expliquer comment les hydrocarbures ont renfloué les caisses de l’Etat. "Avant la loi sur les hydrocarbures votée en 2005, l’Etat en tirait à peine 318 millions de dollars. Avec les nouvelles taxes introduites par la loi, la recette a atteint 906 millions de dollars. Notre décret de nationalisation du 1er mai 2006 et l’accord que nous allons signer avec l’Argentine, jeudi 19 octobre, devraient nous rapporter 1,26 milliard de dollars en 2007", se félicite-t-il.

Le 28 octobre expire le délai pour la négociation de nouveaux contrats avec les compagnies pétrolières étrangères opérant en Bolivie, dont le français Total, le brésilien Petrobras et l’espagnol Repsol. "Nous espérons signer des contrats transparents, ratifiés par le Congrès, qui donneront aux entreprises la sécurité juridique souhaitée", avance M. Morales, qui attribue le retard considérable pris par les négociateurs aux entraves de l’opposition : "La campagne de la droite vise à faire échouer les nationalisations et les travaux de l’Assemblée constituante", qui siège à Sucre depuis le 6 août.

En deux mois, cette Assemblée n’est pas parvenue à se doter d’un règlement. "Nous assistons à une confrontation idéologique et programmatique avec les secteurs conservateurs", soutient le chef de l’Etat, qui affirme que "la droite veut récupérer le pouvoir et éviter d’autres victoires de la gauche, par exemple en Equateur". Pour lui, "les pays d’Amérique latine sont en train de se libérer démocratiquement. Il ne s’agit plus seulement du Venezuela. Les démocraties ne veulent pas être soumises aux Etats-Unis ni au modèle néolibéral."

Une "terrible conspiration" est en cours, ajoute le président bolivien. "Les conflits qui surgissent parfois sans raison font partie d’une offensive de la droite, dénonce-t-il. Des membres du haut commandement militaire ont été approchés. Le préfet (élu) de Santa Cruz (Ruben Costas, leader d’opposition) a visité des casernes. Jeudi, juste avant le meeting (de La Paz), le commandant de la police m’a averti que vingt spécialistes, des anciens militaires, étaient venus de Santa Cruz pour m’assassiner." "J’ai dû utiliser un gilet pare-balles", révèle le président. "Avec ou sans Evo Morales, le changement ne s’arrêtera pas", s’exclame-t-il.

L’ambassade des Etats-Unis à La Paz participe à ce complot, affirme encore le chef de l’Etat, dont la conviction s’appuie sur quatre faits. Leonilda Zurita, lorsqu’elle était dirigeante des cocaleros (cultivateurs de la feuille de coca), disposait d’un visa américain : elle en a été privée depuis qu’elle est sénatrice du Mouvement pour le socialisme (MAS, gauche), la formation présidentielle ; l’ambassadeur américain n’est pas allé à la réception des ambassadeurs accrédités à La Paz, organisée à l’initiative du nonce apostolique, alors que, le soir même, il recevait dans sa résidence des ministres et parlementaires du MAS ; le vice-président Alvaro Garcia Linera a été empêché de voyager sur American Airlines, lors d’une mission officielle aux Etats-Unis ; enfin, le représentant local de l’Agence américaine pour le développement (USAID) "a déclaré qu’il fallait soutenir l’opposition bolivienne", pointe M. Morales. "En dépit de ces provocations et agressions, nous avons la patience de maintenir les relations diplomatiques et commerciales avec les Etats-Unis", poursuit-il.

A propos des plantations de coca, sujet de controverse entre les deux pays, M. Morales, qui est toujours le dirigeant des cocaleros du Chapare (département de Cochabamba), défend une "rationalisation", c’est-à-dire une réduction des surfaces cultivées avec la participation des organisations populaires.

"Tandis que la Colombie dépense des millions sans effets visibles, nous obtenons de bons résultats presque sans argent", plaide-t-il. Washington délivre des "certificats" de bonne conduite en matière de lutte antidrogue. M. Morales se demande si on ne devrait pas plutôt blâmer les Etats-Unis, "incapables de réduire le marché de la cocaïne".

http://lemonde.fr


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