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Délégué Zéro
Comment est grand le monde

Article publié le dimanche 9 avril 2006.


de Bernard Langlois journaliste à Politis le 30 avril 2006

Je ne sais trop ce que sera l’avenir du sous-commandant Marcos et de son mouvement zapatiste. S’il prendra un jour en main le destin du Mexique pour arracher son peuple à la misère et à la domination, comme d’autres, ses frères de combat, sont en passe de le faire, au Venezuela ou en Bolivie. Ce que je sais (que je constate), c’est que l’Amérique latine bouge, que ses peuples autochtones, indiens et métis, ont entrepris de secouer leurs chaînes, de sortir de la soumission, de refuser le monde d’injustices et d’exploitation auquel les soumet depuis si longtemps un impérialisme détestable, avec la complicité de bourgeoisies corrompues.

Ce que je devine aussi, c’est qu’en inventant une forme et un langage radicalement nouveaux dans l’élaboration du nécessaire processus révolutionnaire, ce mélange de militarisme non-violent et de poésie, cette façon de parler au coeur et à l’imaginaire des peuples exploités, depuis maintenant, combien, vingt ans ? qu’il a « inventé » le Chiapas libre et su attirer l’attention du monde sur ce coin sauvage et misérable, l’homme au passe-montagne et à la pipe a peut-être été le déclencheur de ce réveil des masses sud-américaines, et au-delà, peut-être, une sorte de prophète d’un autre monde possible. Comme tous les prophètes, Marcos aime parler en paraboles ; comme tous les poètes, son discours est tissé d’images et de symboles. En voici un exemple récent, trouvé sur la Toile. Le sub-commandante, en tournée dans les campagnes mexicaines, loin du Chiapas, dialogue avec le scarabée Durito, son double, son Jiminy Cricket à lui. Il lui demande « comment le monde est grand », ce monde qu’il faut changer. Réponse de Durito :

« Si tu le vois d’en haut, le monde est petit et de couleur vert dollar. Il entre parfaitement dans l’indice des prix et cotations de la Bourse, dans le pourcentage de marge d’une multinationale, dans le sondage électoral d’un pays qui a souffert la séquestration de sa dignité, dans la calculatrice cosmopolite qui additionne les capitaux et soustrait les vies, les collines, les rivières, les mers, les sources, les histoires, les civilisations entières, dans le tout petit cerveau de George W. Bush, dans l’esprit bouché du capitalisme sauvage mal habillé dans son costume néolibéral. Vu d’en haut, le monde est très petit car il ne tient pas compte des personnes et, qu’à leur place, il y a un numéro de compte en banque, sans autre mouvement que celui des encaissements.

Mais si tu le vois d’en bas, le monde a une telle ampleur qu’un seul regard ne suffit pas pour l’envelopper, mais qu’il faut beaucoup de regards pour le compléter. Vu d’en bas, le monde regorge de mondes, presque tous peints de la couleur de l’exploitation, de la misère, du désespoir, de la mort. Le monde en bas s’agrandit sur les côtés, surtout vers le côté gauche, et il est fait de plein de couleurs, presque autant qu’il y a de personnes et d’histoires. Et il grandit en arrière, vers l’histoire qui l’a fait monde d’en bas ; et il grandit sur lui-même avec les luttes qui l’éclairent bien que la lumière d’en haut s’éteigne, et il rêve même si le silence d’en haut l’écrase, et il grandit en avant devinant dans chaque coeur qui le porte l’aube que feront naître ceux qui en bas sont ceux qu’ils sont. Vu d’en bas, le monde est si grand qu’il contient beaucoup de mondes et malgré ça il reste encore de la place pour, par exemple, une prison.

C’est-à-dire pour résumer, vu d’en haut le monde rapetisse et il n’y a de la place que pour l’injustice. Et, vu d’en bas, le monde est tellement spacieux qu’il y a de la place pour la joie, la musique, le chant, les danses, le travail dans la dignité, la justice, l’opinion et la façon de penser de tout le monde, peu importe leurs différences si en bas ils sont ce qu’ils sont. [...] »

Ce n’est qu’un passage d’un texte beaucoup plus long, daté du 17 février, qu’on peut trouver en entier sur le site du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL) (1).


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