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La maison new age de José Bové

(JPG) de Raphaëlle Bacqué
Article publié le mardi 5 septembre 2006.


Le permis de construire n’a pas été facile à obtenir. La première lettre de l’architecte-conseil de la direction de l’équipement a même franchement jeté un froid : "Votre projet ne s’inscrit pas dans l’architecture vernaculaire du Larzac." Il fallait presque tout modifier.

José Bové et sa compagne, Ghislaine Ricez, ont protesté. Pour finir, un fonctionnaire parisien est venu voir sur place à Montredon (Aveyron). Une heure et demie de route depuis Montpellier. Froid mordant l’hiver. Deux habitants au kilomètre carré sur le causse. Pour la circonstance, on avait aussi fait venir le maire du coin, "un bon copain". Et Patrick Ballester, l’architecte pressenti, adepte de la philosophie bouddhiste, ordonné "moine bodhisattva" et écologiste convaincu. Là, juste au-dessus des terres à brebis, dans ce maquis de buis et de chênes verts, l’architecte-conseil de la direction de l’équipement a eu droit à un petit cours.

Il a vu défiler le Larzac des années 1970 avec ses grands rassemblements contre l’extension des terrains militaires. La bergerie de la Blaquière, reconstruite illégalement mais inaugurée en grande pompe par Michel Rocard juste après la victoire de la gauche. On lui a raconté la poignée d’éleveurs qui se réinstallent et les quelques citadins qui tentent de devenir paysans. Et puis "l’architecture vernaculaire du Larzac", les maisons remontées par ces militants chevelus et objecteurs de conscience. "A la fin, ricane encore José Bové, l’expert a dit oui."

Le projet est à présent en passe d’être achevé. C’est une maison contemporaine en bois et en verre, montée sur pilotis. Un rêve d’habitat new age qui fait irrésistiblement penser aux maisons des bobos de la Côte ouest des Etats-Unis et du Canada. On y parvient au bout d’un sentier de caillasses, quelques dizaines de mètres après avoir laissé la ferme, le gîte attenant, loué pour les vacances, la petite fabrique de fromage ou s’affinent de grosses tommes de brebis un peu fades et la grange de pierre où sont exposées les affiches de l’âge d’or militant du Larzac. Au loin, on aperçoit le mont Aigoual, le mont Lozère et le plateau ardéchois.

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José Bové se tient debout devant son chantier. En short et sandales de cuir. La moustache reconnaissable et le tutoiement facile. Depuis le 15 mai, il y travaille presque tous les jours avec l’aide des amis qui passent. "Et quand je ne suis pas sur le chantier, c’est que je fauche des champs de culture OGM", s’amuse-t-il.

La maison est 100 % écologique. Murs en épicéa, gouttières de cuivre, aucune peinture chimique, aucun vernis polluant. L’entreprise de construction Nature et Habitat, fondée par l’architecte Patrick Ballester, importe presque tous ses produits d’Allemagne, largement en avance sur la production de ces matériaux naturels que la France, avec ses grands groupes de construction industriels, néglige. Toutes les pièces de bois sont prédécoupées. On emboîte, on visse. Il n’y a pas un clou. "C’est un chantier sans bruit", se félicite Bové. Ces derniers jours, il termine de monter les fenêtres. Bientôt, on achèvera l’isolation en liège des cloisons. Puis on posera le "Fermacel", un genre de Placoplâtre composé de gypse naturel et d’ouate de cellulose. Enfin, on recouvrira de terre le toit végétal.

Au sol, entre les solives qui vont supporter le parquet, on a jeté des copeaux de liège pour l’isolation thermique. Des panneaux solaires assureront la production de 40 % de l’eau chaude. Le chauffage sera fourni par un gros poêle à granulés de bois. Les WC fonctionnent sans eau. On jette de la sciure et on vide régulièrement soi-même le contenu du grand réceptacle dans un container à compost. "Garanti sans odeur et recyclage maximum", sourit Bové. La maison sera habitable, "disons, dans deux ou trois semaines, calcule Ghislaine, mais au début, il est probable que nous camperons un peu".

José Bové et Ghislaine Ricez laisseront en tout cas sans regret les maisons en pierre, sombres et froides, du hameau, où vivent une vingtaine de personnes. Depuis longtemps, déjà, Ghislaine voulait un foyer clair et chaleureux. "Mais on a d’abord cherché le meilleur emplacement pour le faire", dit-elle. Le couple a donc passé des heures à regarder les points de vue, assis au pied d’un arbre, debout sur un promontoire, observant les endroits favoris des brebis. "C’est souvent un bon indice : là où les brebis choisissent de passer la nuit, là tu construiras ton lit", énonce gaiement José Bové. Les Romains, assure M. Ballester, observaient déjà le foie de leurs animaux, et, s’il était sain, construisaient la maison sur l’herbage où ils broutaient. Le site, tout près finalement de l’endroit où José Bové s’installa en 1976, a donc été le point de départ. Il y a une belle vue sur le causse, des chênes et des lilas, un gros rocher qui émerge.

L’architecte a fini de donner à l’endroit un petit côté mystique. "Je suis venu faire une étude de terrain, avec mes baguettes et mes pendules, explique Patrick Ballester. Avant de construire, j’étudie toujours le magnétisme, les courants telluriques, les défaillances tectoniques. Dans un terrain magnétiquement bien équilibré, on aura une meilleure santé." Le terrain convenait. On a donc dessiné les plans. Peu de débats sur le nombre de chambres. A 53 ans, José Bové va bientôt être grand-père, mais il voulait surtout avoir un bureau clair et agréable. De fait, la pièce semble être le clou de la maison : en mezzanine, avec terrasse attenante et mur vitré. De quoi rédiger en toute sérénité ses libelles antilibéraux.

Pour finir, la maison comprend, sur 110 m2 et trois niveaux, une grande pièce à vivre orientée sud-est, avec une terrasse la longeant entièrement sur deux côtés, une cuisine américaine et un cellier au nord, deux chambres, un dressing-room, une salle de bains, le grand bureau, un toit végétal où l’on plantera "de belles plantes pour voir les saisons défiler, mais pas de marijuana, parce que c’est interdit", plaisante José Bové. Le budget ? Environ 1 000 euros le mètre carré la maison brute. "Presque une maison Borloo, hein ?", lance notre hôte, mi-rigolard, mi-sérieux, déjà prêt à reconstruire des kilomètres de banlieues sans "ces matériaux polluants qui provoquent des allergies aux enfants".

"En attendant, on va aller déjeuner", propose gentiment Ghislaine. Direction, La Jasse du Larzac, un restaurant associatif à une dizaine de kilomètres, qui sert d’excellentes saucisses grillées, de l’aligot et du vin bio. Il faut prendre en voiture la petite route - "elle a été goudronnée en 1985, l’année où nous avons été raccordés à l’eau courante. Mais il a fallu attendre encore deux ans pour l’électricité", explique José Bové - et longer une partie des derniers terrains militaires. Terres sauvages et forêt de pins. Au fond, en occupant ces terrains, l’armée n’a-t-elle pas en partie préservé cette nature rude ? "Ouais, eh bien je préfère maintenant y voir des brebis. L’été, ces abrutis foutaient le feu avec leurs exercices de tir", rétorque-t-il.

Après le tournant, derrière les arbres, on aperçoit le toit bleu d’une voiture. Les gendarmes. Le syndicaliste paysan attache sa ceinture, jusque-là oubliée. Et puis, non, c’est trop tentant. Il fait arrêter la voiture et descend voir ses meilleurs ennemis. Les deux gendarmes saluent la star du pays. Pas de problème avec "José". Mais la caravane de l’UMP, venue à Millau faire la promotion de Nicolas Sarkozy, va bientôt passer. Et ils ne voudraient pas que les syndicalistes de la Confédération paysanne, les anti-OGM, les défenseurs de sans-papiers, bref, tout ce que le coin compte de contestataires, viennent se mesurer aux militants UMP. "Les gendarmes ne sont pas méchants, ici, se félicite José Bové. Généralement, quand ils arrivent, ils sont éberlués, mais ensuite, ils s’installent et comprennent mieux le coin." Il y a quelques mois, l’un d’entre eux s’est approché pour lui serrer chaleureusement la main : "Tu ne te souviens pas ? C’est moi qui t’ai emmené à la prison de Villeneuve-lès-Maguelonne !"

Peut-il quitter tout cela pour courir une élection présidentielle ? Peut-il lâcher sa jolie maison, la ferme et ses deux associés, les copains et ce folklore de gendarmes qui sert son image d’Astérix populaire ? Ghislaine ne le veut pas. "Les attaques sont trop dures, dit-elle. Et puis, ils ne le laisseront pas." "José" suit tout de même au téléphone les réunions des Verts, de la LCR, d’Attac et de tous ces représentants de la gauche de la gauche qui rechignent à lui laisser porter seul le flambeau électoral.

Il hésite, cependant. S’il y va, il lui sera difficile de mener campagne de son bout de Larzac, comme il l’a fait jusqu’ici pour presque toutes ses grandes actions de leader paysan. "Nous n’avons pas l’ADSL pour Internet et on met des heures à envoyer trois mails, raconte Ghislaine, le portable passe dans la maison, pas sur la route." Il y a quelques semaines, le chanteur américain Peter Yarrow, star de l’ancien groupe des années 1970 Peter, Paul and Mary, est venu à Montredon. Il a cru devenir fou, incapable de se passer des moyens de communication modernes. Cela fait encore rire José Bové : "S’installer ici, c’est un choix de vie."

Raphaëlle Bacqué www.lemonde.fr


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